lundi, mai 14, 2012

La relation humaine est corporelle

Voici un article très important pour tous les sophrologues et autres professionnels de démarches corporelles.
Il s'agit d'un entretien de David Le Breton (Professeur de Sociologie de l'Université de Strasbourg) sur les représentations du corps et ses mises en jeu.
Je vous conseille de trouver ce numéro de Actualités Sociales Hebdo de mai 2012, une grande enquête sur le thème "redonner du souffle aux personnes exclues"




Quelle relation entretient notre société avec le corps ?
la première tendance est de considérer le corps comme un outils au service de l'identité. C'est alors un corps remaniable, toujours à adapter au goût du jour, d'où l'essor des régimes, du culturisme, de la chirurgie esthétique..
Il s'agit de le modifier pour changer quelque chose de sa vie. L'individu doit donc s'approprier ce corps, vécu d'emblée comme un obstacle à la bonne réalisation de soi.
Autre représentation : le corps, voie de salut. Il s'agit là plutôt de le travailler en douceur, par le massage, l'écoute sensorielle... avec l'idée qu'une réconciliation avec le monde, le temps, est possible. Enfin, il existe une manière "plus ordinaire" de concevoir sa relation au corps en estimant que nous sommes physiquement au monde et qu'il n'y a pas de différence entre soi et lui. On sort ici du dualisme. Par des démarches corporelles : sophrologie, danse, yoga..l'idée est d'abord de travailler, non son corps, mais son être afin de modifier sa relation aux autres et au monde.

En quoi ces techniques peuvent elles y contribuer ?
Elles sont un art de vivre. Elles appartiennent à l'univers de la lenteur, de l'écoute. l'écoute de soi, du silence, de l'herbe qui pousse... Elles proposent de retrouver un monde qui chemine au pas de l'humain, de se réapproprier une existence qui finit par nous échapper du fait des impératifs de vitesse, d'efficacité. Beaucoup de nos contemporains sont dans un chaos intérieur, ils ont perdu leur centre. Ces techniques aident à se retrouver, en permettant davantage d'apaisement, de mise à distance, un rapport au monde plus heureux.

Alors qu'elles semblent intéressantes à développer auprès de publics en difficulté, elles font encore l'objet de réticences. Pourquoi ?
Les travailleurs sociaux n'échappent pas à la vision un peu péjorative de notre société sur le corps, qui en fait un outil encombrant. Nous sommes entrés dans l'ère d'une humanité assise. Travailler sur le corps parait dès lors frivole, superflu.
Ces techniques sont de fait méconnues, voire méprisées. On évoque aussi le risque de dérapages sectaires. C'est un danger, mais il suffit de sonder l'approche et la formation des professionnels. Négliger la dimension somatique, c'est oublier que notre rapport au monde est d'abord sensoriel, affectif, que la condition humaine est corporelle, que pas un seul mouvement de nos vies n'y échappe. En occultant le corps, on occulte la personne.

Ces ateliers gagneraient donc à être développés...
Le corps n'est qu'un passeur. Les acteurs du social doivent comprendre qu'en le travaillant, on transforme le rapport au monde et aux autres des publics accueillis : adolescents mal dans leur peau, maltraités, personnes prostituées, usagers de drogues.. Pour des individus vivant dans la rue sous le regard des autres, en prison dans un univers sensoriel appauvri.. ces expériences corporelles, bien accompagnées, peuvent contribuer à une reconquête de soi, du goût de vivre, à un réapprentissage en douceur du monde. Changer les perceptions de son corps, c'est découvrir d'innombrables ressources qu'on ignorait, réinterpréter le monde et soi-même.
Autrement dit, favoriser l'autonomie ?
Ces pratiques peuvent en effet aider à redevenir acteur de son existence quand on a été abîmé par la vie. Simplement, par leur exemple, les enseignants peuvent aussi donner envie de grandir ou d'avancer. Ce sont des tuteurs de résistance. Par leur approche, patiente et bienveillante, aucun obstacle devient infranchissable. On peut être mis à mal mais il y a toujours un moyen de se redresser. Ils donnent le goût de forcer le passage, transmettent cet état d'esprit de ne jamais céder devant le sort, de n'être jamais des victimes. Cela ne peut que s'harmoniser avec l'essence du travail social, qui est de restaurer l'individu et de l'aider à trouver en lui les ressources l'autorisant à être l'artisan de sa vie.


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